Face à Roger Federer, ce fut significatif. Murray dégageait une confiance presque palpable. On le sent tellement plus calme, tellement plus tranquille. Ce match était particulièrement instructif, parce que c'était le premier grand rendez-vous du nouveau Murray. Son premier grand duel dans un majeur, face à un autre ténor du circuit, depuis son titre à l'US Open. Durant ces quatre heures de combat, on a pu mesurer à quel point il possédait désormais ce bien si précieux que l'on nomme la confiance. Il ne doute plus de lui, même dans la difficulté. Il est sûr de son jeu, sûr de sa force, et de sa supériorité. Ses certitudes prennent aujourd'hui le pas sur ses doutes. Elles les écrasent. Quand Federer est revenu à deux sets partout, Murray aurait pu paniquer après être passé à deux points de la finale dans la quatrième manche. Il y a six mois, peut-être aurait-il cédé face à cet écueil.
Mais comme il l'a très bien expliqué après le match, il a préféré positiver, en se disant qu'il devait s'appuyer sur ce qui lui avait permis d'être à deux points du match. Ou plus exactement, cette attitude s'est imposée naturellement à lui. S'il était en position de gagner, c'est parce qu'il était plus fort que Federer. Il n'y avait donc aucune raison qu'il ne finisse pas par imposer cette implacable logique. Cette faculté à appréhender la situation de façon optimale à l'instant T ne s'apprend pas. Elle ne se travaille pas. Elle s'acquiert à travers la victoire. C'est un privilège rare dont Murray peut jouir depuis qu'il est passé de l'autre côté de la barrière à Flushing. Murray a confié pendant cet Open Australie qu'il ne jouait pas forcément mieux qu'il y a un an, mais qu'il jouait plus intelligemment. C'est dans ces moments-là que cette évolution est particulièrement significative.
Le plus intéressant dans son cas, c'est qu'en dépit des pas de géant effectués depuis un an, le protégé d'Ivan Lendl reste encore très perfectible. Parce qu'il a émergé le dernier, c'est lui qui, du Big Four, possède de loin la plus grosse marge de progression. Le score de cette demi-finale reflète ainsi assez mal la supériorité de l'Ecossais, qui n'aurait jamais dû se laisser embarquer dans un cinquième set. Il doit encore se montrer davantage tueur. Contre un champion de la trempe de Federer, il faut savoir lui maintenir la tête sous l'eau, ne pas relâcher l'étreinte. Pour ne pas avoir su le faire, pour avoir affiché un peu de fébrilité, aussi, à l'heure de conclure dans le quatrième set, il a laissé le Suisse revenir dans le match. Lors de la finale de l'US Open, face à Djokovic, il avait déjà failli laisser filer un match qu'il dominait nettement. Quand Murray aura encore franchi un cap dans ce domaine, gare.
En l'état actuel, il n'a déjà plus beaucoup de défaut dans la cuirasse. Physiquement, c'est un monstre d'endurance. Il n'a pas grand-chose à envier à Novak Djokovic dans ce domaine. En matière de tennis, sa palette est extraordinairement complète. Sa main, la plus pure du circuit, dégouline de talent. Redoutable relanceur, remarquable défenseur, excellent serveur (son match contre Federer, à ce niveau, est probablement le chef d'œuvre de sa carrière dans un rendez-vous de cette importance) il possède une multiplicité d'armes à sa disposition.
Mais tout cela, Murray l'avait déjà, même si, évidemment, il évolue dans tous les secteurs du jeu. L'immense différence, à la fois détail infime et décisif, c'est qu'il se trouve aujourd'hui dans un confort psychologique qui lui permet d'exprimer pleinement son potentiel. J'ignore à quel point l'apport d'Ivan Lendl a été décisif dans cette trajectoire ascendante, mais il est difficile de ne voir qu'un pur hasard dans la trajectoire commune des deux hommes. Pas de doute, ces deux-là se sont bien trouvés. J'ignore si Murray amassera autant de trophées que son illustre entraineur. Je ne sais pas s'il doublera la mise dès dimanche, face à Djokovic. Mais ce que chacun pressentait après son titre new yorkais parait plus évident encore au vu de sa victoire face à Federer: il ne s'arrêtera pas en si bon chemin. En la matière, ses certitudes forgent la nôtre.
Laurent VERGNE